Un regard Historique sur la propagande

Un regard Historique sur la propagande

Anne Morelli, dans le cadre du Projet “On n’a que l’info qu’on se donne!”

Si l’on considère que la propagande est une narration qui sert à faire changer d’idée le récepteur et à lui faire accepter le point de vue du narrateur, la propagande existe depuis l’Antiquité comme en témoignent des documents écrits ou illustrés.

De la propagande dès l’Antiquité

Mon premier exemple est la bataille de Qadesh. Elle eut lieu au XIIIème siècle avant notre ère et vit s’opposer, dans la Syrie actuelle, les deux plus grandes puissances du Moyen-Orient de l’époque : les Hittites, d’une part, et les Egyptiens de Ramsès II de l’autre. Un traité de paix entre les deux dynasties, dont une version est arrivée jusqu’à nous, termine le conflit. Mais qui a gagné cette bataille ? Selon les Hittites ce serait leur victoire qui leur aurait apporté d’importants gains territoriaux. Cependant, des textes et images gravées sur le temple d’Abou Simbel, par ordre de Ramsès II, montrent, au contraire, le pharaon grand vainqueur des Hittites qu’il aurait écrasés.

En fait, le rôle du pharaon y est manifestement exagéré. On peut considérer que Ramsès Il a diffusé sa version des faits, le présentant comme un héros appuyé par les dieux et ses actes comme des exploits exceptionnels, pour obtenir un appui inconditionnel de la Cour et de la population égyptienne. Cette réécriture de l’histoire de la bataille de Qadesh, détournée à l’avantage de son image, est bien de la propagande.

Un ouvrage de Jules César est un autre exemple, lointain mais évident, de propagande. Son “de bello gallico” (“Commentaires sur la guerre des Gaules”) a fait souffrir plus d’un jeune apprenant de latin mais est très intéressant pour notre propos. Lorsque Jules César rédige son ouvrage, il est proconsul et ambitionne de prendre le pouvoir à Rome mais il a été envoyé en Gaule pour la conquérir (58 à 52 avant notre ère). Il rédige, au fur et à mesure de la conquête, des rapports qu’il envoie au Sénat romain et qu’il va réunir en cet ouvrage qui se veut historique et qui, en 8 livres, doit montrer à Rome l’importance de sa victoire sur les Gaulois. 

Mais la véracité de ses “commentaires” est discutable. Il a manifestement exagéré le nombre, la taille, l’armement, la vaillance et l’agressivité de ses adversaires gaulois, afin d’apparaître plus glorieux de les avoir affrontés victorieusement. Vaincre des “barbares” est valorisant et les attaquer se transforme en “attaque préventive” car ils sont, bien sûr, menaçants. César présente les choses à son avantage et écrase le rôle de ses légats pour se mettre en valeur. Il s’agit bien d’un ouvrage de propagande pour valoriser à Rome le rôle du général vainqueur des Gaulois. Et il a atteint son but. Après ses victoires, Jules César contrôle le Sénat romain et se fait attribuer des pouvoirs exceptionnels de “dictateur”.

Toujours dans l’Antiquité, lorsque le christianisme fait son apparition, ses détracteurs le combattent par un argument habituel de la propagande. Les chrétiens seraient en réalité des anthropophages qui dévorent leur dieu ! Parallèlement, les chrétiens accusent des mêmes méfaits leurs rivaux, les croyants en Mithra. Très classiquement, toutes les atrocités peuvent être attribuées, sans aucune preuve, au camp ennemi.

Jusqu’à la Première guerre mondiale

Toutes les dynasties ont pratiqué la propagande pour se présenter comme exceptionnelles, bénies des dieux, détentrices de pouvoirs exceptionnels.

Les guerres de religion ont vu leur lot de propagande des deux côtés des conflits. Le terme “propagande” vient d’ailleurs de l’expression latine “propaganda fidei”.

Il faut propager la foi. On exagère donc les mérites d’un camp, les méfaits de l’autre et l’on se prétend, des deux côtés, être protégé de dieu. Ces principes se retrouveront jusqu’à l’époque contemporaine où le cri “Allah Akhbar” des uns répond au slogan “Got mit uns ” figurant sur les ceinturons des autres (“In God we trust” en étant une autre version).

“Notre” chef est par ailleurs intelligent, puissant et bon. Celui de l’autre camp est un fou, un sadique, un monstre. 

Ainsi c’est le camp protestant des Pays-Bas qui construit la légende noire de Philippe II d’Espagne, reprise dans les autres pays rivaux de l’Espagne au XVIème siècle (France, Angleterre). Cette légende noire le présente comme moteur de l’Inquisition (qui existe cependant aussi dans d’autres pays), comme obscurantiste et fanatique religieux. Cette légende noire autour du fils de Charles-Quint aura un rôle déterminant dans la constitution de l’histoire de la Belgique indépendante et sera reprise par les Etats-Unis, lorsqu’ils seront en conflit avec l’Espagne lors de la guerre hispano-américaine de 1898.

Dans son pays, par contre, le roi Philippe II est considéré – encore aujourd’hui – avec grande déférence, comme un monarque juste et réfléchi.

Le dirigeant révolutionnaire français Robespierre, précurseur pour les uns d’un monde plus juste et démocratique, est représenté du côté conservateur comme un monstre sanguinaire. Napoléon aussi sera adulé – et jusqu’à aujourd’hui – par une partie de la France, alors que son ennemie l’Angleterre, l’a présenté en caricatures comme un monstre cherchant à avaler toute l’Europe. Plus de 10.000 caricatures anglaises le représentent tantôt en ogre, tantôt en crocodile, renard ou même fils du diable. Des comparaisons caricaturales de ce type, concernant le chef du camp ennemi de ce type, sont encore aujourd’hui de mise chez nous pour représenter les “ennemis de l’Occident”, qu’ils s’appellent Milosevic, Saddam Hussein, Khadafi ou Poutine.

Mais, alors que les guerres du Moyen-âge et d’une partie des Temps modernes se jouaient surtout avec des mercenaires, payés pour se battre mais à qui on ne demandait aucune adhésion à la cause qu’ils devaient défendre, les choses changent à partir de la Révolution française.

Les soldats de l’An 1 de la République sont mobilisés clairement pour défendre une cause, celle de la Révolution qui abat les trônes des monarques tout puissants. On leur demande d’énormes sacrifices mais pour les supporter ils doivent être motivés, ce qui va nécessiter envers eux une propagande plus active.

Au cours du XIXème siècle, beaucoup de guerres sont animées par des sentiments nationaux qu’il faut nourrir et exacerber. La propagande a là un rôle essentiel à jouer, mais c’est avec la guerre de 1914-1918 qu’elle va véritablement faire un saut qualitatif et quantitatif.


En 1914-18

La Première Guerre mondiale marque un tournant essentiel dans la professionnalisation de la propagande de guerre.

Tout conflit a des causes économiques et géo-stratégiques.  Pour la Première Guerre mondiale, l’Allemagne est une puissance “émergente” qui voudrait rivaliser avec les autres puissances européennes sur le plan industriel et colonial. La France et l’Angleterre (alliées au tsar de Russie) encerclent cet élément dangereux qu’elles voudraient mettre hors combat. Mais ces causes n’ont rien d’enthousiasmant pour envoyer des troupes (de volontaires pour la Grande-Bretagne) au combat, en chantant, et la fleur au fusil.

La propagande, de part et d’autre, devra donc déployer tous ses talents pour draper cette rivalité dans de nobles motivations. De part et d’autre on se battra contre le militarisme (de l’autre), pour le droit, la liberté et la démocratie (même si le tsar n’est guère crédible en cette matière et que l’Allemagne de 1914 est plus démocratique que la Belgique).

Pour rendre compte de cette campagne de propagande, Arthur Ponsonby, qui était membre du bureau anglais de propagande, est un témoin essentiel. Après la guerre, pendant laquelle il avait pu voir de près le travail de Lord Northcliffe, magnat de la presse anglaise devenu responsable de la propagande britannique, il écrivit “Les faussaires à l’œuvre en temps de guerre”. Le livre fit scandale. En effet il dévoilait, preuves à l’appui, que la propagande de guerre de nos alliés avait inventé, exagéré ou travesti de nombreux faits.

Des atrocités avaient certes été présentes dans ce conflit, mais des deux côtés. Et, comme si les crimes réels ne suffisaient pas, l’officine de propagande de Lord Northcliffe, en avait inventés de toutes pièces d’autres plus “croustillants”. Ainsi se répandit, à travers la presse de nos alliés, le bobard incroyable selon lequel les soldats allemands avaient, lors de leur invasion de la Belgique, coupé les mains de tous les bébés belges. Des artistes et des hommes de lettres mirent leur talent au service de la diffusion de cette atrocité imaginaire. Le poète belge Emile Vandervelde ou le dessinateur français Francisque Poulbot s’illustrèrent à populariser l’invention des “bébés belges aux mains coupées”.

Ponsonby mit le doigt sur d’autres classiques de la propagande de guerre largement utilisés lors de la Première guerre mondiale, comme la démonisation du chef de l’autre camp. L’empereur d’Allemagne, le “Kaiser” Guillaume II, qui était présenté dans la presse anglaise, quelques mois avant le début du conflit, comme un souverain équitable et populaire, devint, dès le début de la guerre, un monstre sanguinaire, cause principale du conflit. La guerre n’était pas présentée comme dirigée contre l’Allemagne ou les Allemands mais contre le “Kaiser”, ce démon qui aurait personnellement ordonné l’incendie de la Bibliothèque de Louvain et la destruction de la cathédrale de Reims. 

Depuis le début du conflit, on décréta, de part et d’autre, que la victoire était proche, l’ennemi à genoux et les déserteurs du camp ennemi nombreux.

Nos ennemis, selon cette propagande, ne combattaient pas loyalement mais avec des armes illégales, comme les gaz asphyxiants ou les sous-marins.

Cette propagande réunit déjà toutes les caractéristiques de la propagande moderne.

Ceux qui, lors de la Première Guerre mondiale, n’ont pas cru à la propagande de leur pays furent durement touchés, quel que soit leur pays. Les calomnies, l’emprisonnement, les carrières brisées se sont multipliées contre les sceptiques, accusés systématiquement d’êtres des agents de l’ennemi. Et la propagande, que Arthur Ponsonby avait si efficacement mise en lumière, continua à sévir sous des formes à peine différentes pour les conflits suivants.

Grasset, 2019, 184 p.

Et après…

Dès l’entre-deux-guerres les officines de propagande des divers pays sont professionnalisées, et pas seulement dans les dictatures.

Au contraire, les démocraties ayant besoin du consentement de l’opinion publique, elles, doivent œuvrer efficacement à la manipuler dans le sens qui arrange leurs gouvernements.

Pour obtenir l’acquiescement de la population pour une entrée en guerre, certains principes généraux de propagande (1) sont toujours les mêmes qu’à l’époque de Jules César : c’est l’ennemi qui a commencé, nous ne faisons que nous défendre, les ennemis sont des barbares sans foi ni loi ayant un monstre à leur tête, nous combattons pour la civilisation, …

Aujourd’hui ce sont des “Agences de communication” qui sont chargées de construire les arguments de la propagande.

Et à chaque nouveau conflit, cette propagande prouve son efficacité.

• Anne Morelli, historienne

10 Principes élémentaires de propagande de guerre

1. Nous ne voulons pas la guerre.
2. Le camp adverse est le seul responsable de la guerre.
3. L’ennemi a le visage du diable.
4. C’est une cause noble que nous défendons et non des intérêts particuliers.
5. L’ennemi provoque sciemment des atrocités; si nous commettons des bavures, c’est involontairement.

6. L’ennemi utilise des armes non autorisées.

7. Nous subissons très peu de pertes; les pertes de l’ennemi sont énormes.
8. Les artistes et intellectuels soutiennent notre cause.

9. Notre cause a un caractère sacré.

10. Ceux qui mettent en doute la propagande sont des traîtres.

Anne Morelli, “Principes élémentaires de propagande de guerre, applicables en cas de guerre froide, chaude ou tiède”, Aden éditions, 2023

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