Le « dog whistling » : une technique de communication politique aux enjeux éthiques et démocratiques
François Debras, dans le cadre du Projet « On n’a que l’info qu’on se donne! »
Le « dog whistling » est une technique de communication politique subtile reposant sur
l’usage de mots, phrases ou symboles codés qui vont être perçus de manière différente en
fonction des groupes visés. Cette pratique permet aux oratrices et aux orateurs d’adresser des
messages spécifiques tout en préservant une apparence de neutralité ou d’innocence. Utilisé
dans des contextes divers, le « dog whistling » joue sur l’ambiguïté et la manipulation des
discours. Son efficacité repose sur le contournement des sanctions mais aussi dans sa
capacité à diviser et polariser la société au détriment du débat démocratique.
Une technique de communication politique
Le terme « dog whistle » désigne un sifflet à ultrasons audible uniquement par les chiens. Par
analogie, en politique, il est mobilisé pour nommer une technique de communication codée.
Les discours sont perçus différemment selon les publics. Un message explicite pour un groupe
d’initiés peut ainsi paraître imperceptible ou anodin pour le reste de l’audience.
Le « dog whistling » repose sur une ambiguïté délibérée. Les mots, phrases, expressions ou
symboles employés semblent, à première vue, innocents mais sont pourtant porteurs d’un
sous-texte renvoyant à des identités de groupe et/ou à des idéologiques spécifiques. Par
exemple, au début du XXe siècle, des figures de l’antisémitisme en France comme Edouard
Drumont ou Charles Maurras mobilisaient des termes tels que « habitants », « intouchables »
ou « innommables » pour parler de la communauté juive, et ceci pour contourner les
accusations d’antisémitisme. Aujourd’hui, cette technique persiste. Elle s’est modernisée et
répandue sur les réseaux sociaux où un émoji comme celui d’un arbre peut, lui aussi, être
codé et désigner la population d’origine maghrébine, « arbre » étant phonétiquement proche
de « arabe ». L’émoji « parfait », c’est-à-dire celui dont le pouce et l’index forment un cercle,
peut renvoyer pour sa part aux lettres « W » et « P » de « White Power ». Ces symboles
permettent de cibler des minorités sans jamais avoir à les nommer explicitement. Les
sanctions judiciaires sont évitées et les utilisatrices et utilisateurs se font, en même temps,
parfaitement comprendre par leur public cible.
Le « dog whistling » ne se limite toutefois pas à la transmission d’idées et de discours racistes
ou discriminatoires. Il peut aussi mobiliser des concepts pour fédérer des groupes ou
influencer discrètement des électrices et électeurs appartenant à des communautés ou groupes
spécifiques. De plus, son utilisation ne se limite pas à un camp politique. C’est un outil
polyvalent, utilisé dans des contextes divers et variés. Cependant, son essence demeure
identique : se faire comprendre par ses partisanes et partisans tout en en déniant toute
intention grâce à l’apparente neutralité de ses propos.
Formes de « dog whistling »
Le « dog whistling » se déploie sous des formes diverses qui combinent subtilité et ambiguïté
pour délivrer des messages codés.
Une forme très répandue est l’utilisation de signes typographiques ou graphiques. « 88 »
désigne ainsi la huitième lettre de l’alphabet et se traduit donc par « HH » pour « Heil
Hitler ». Les triples parenthèses, « (((ils))) », sont utilisées pour représenter la prétendue
influence qu’aurait la communauté juive sur la société et sur les prises de décision politiques
et économiques. Ces symboles, bien qu’accessibles à toutes et tous sur le plan visuel, sont
conçus pour résonner d’une façon particulière auprès d’un auditoire spécifique tout en
renforçant un sentiment d’appartenance à un même groupe et une connivence entre
l’émettrice ou l’émetteur du message et son public.
Le langage codé peut également s’appuyer sur des références historiques ou culturelles. Lors
de sa campagne présidentielle de 2008, Barack Obama a évoqué les « American dreams that
are being deferred », c’est-à-dire les « rêves américains différés ». Les électrices et électeurs
afro-américains comprenaient l’expression, sans avoir besoin d’explication, comme étant celle
du poète noir Langston Hughes. De plus, pour réfuter des allégations le qualifiant de
musulman, Barack Obama a déclaré « They try to bamboozle you, hoodwink you », c’est-à-
dire « ils essaient de vous embobiner, de vous duper », reprenant les mots Denzel Washington
interprétant Malcolm X dans le film de Spike Lee datant de 1992.
Des déclarations de responsables politiques actuels peuvent également illustrer ce phénomène
de « dog whistling ». En 2022, Gérald Darmanin a lancé à une journaliste, en direct à la
télévision, : « Calmez-vous, ça va bien se passer ». L’expression, utilisée dans les milieux
antiféministes et virilistes, a provoqué des réactions immédiates parmi celles et ceux qui ont
reconnu la référence. Jordan Bardella, président du Rassemblement National en France, a
repris à plusieurs reprises pendant la campagne européenne de 2024, l’expression « ben
voyons » présente, à l’origine, dans les propos d’Eric Zemmour. Cela lui permettait d’établir
un lien implicite avec l’électorat de ce dernier, de créer des ponts, d’aller chercher des
électrices et des électeurs, sans faire de lien explicite.
A l’autre bout du spectre politique, lors du Congrès du Parti communiste français, le 10 avril
2023, Fabien Roussel affirme, lors de son allocution, que les frontières se sont transformées
en passoires. Cette formulation, initialement utilisée dans les discours des partis d’extrême
droite pour critiquer la politique migratoire, a fait réagir plusieurs observatrices et
observateurs politiques français. Le choix des mots ravive des connotations et des sous-
entendus associés à l’extrême droite et permet de s’adresses à son électorat.
Cette pratique peut également reposer sur l’utilisation de termes empruntés à la culture
populaire. Ainsi, les « dragons célestes » renvoient à des personnages issus du manga « One
Piece ». Ils constituent une élite privilégiée et intouchable, descendant des rois fondateurs du
« gouvernement mondial ». Sur les réseaux sociaux, l’expression vise à attaquer les personnes
de confession juive. Ce type de référence fonctionne grâce au fait que, derrière une apparence
anodine, il n’est lisible que par celles et ceux qui en comprennent le double sens.
Ces formes multiples d’expressions codées sont au cœur de l’efficacité du « dog whistling ».
Elles permettent aux émettrices et émetteurs de mobiliser des groupes spécifiques tout en
minimisant les risques de sanctions. Le « dog whistling » est un outil discursif stratégique
puissant pour influencer discrètement, renforcer des communautés ou exploiter la polarisation
et les divisions sociales.
Limites et conséquences sur le débat démocratique
Le « dog whistling » présente cependant plusieurs limites qui rendent son identification et son
interprétation complexes. L’une des principales difficultés réside dans sa caractéristique
principale, à savoir son ambiguïté. Etant donné qu’il repose sur des messages codés, il est
difficile de déterminer si une oratrice ou un orateur utilise ou non la technique du « dog
whistling ». Et si oui, si elle ou il le fait de manière délibérée ou par le fruit du hasard dans un
contexte particulier.
Les preuves tangibles de l’intention d’une personne derrière un choix de mots restent
incertaines. Est-ce une référence à une idéologie raciste ? A l’extrême droite ? A une
communauté particulière ? A un événement ou une personnalité ? Ou cela ne relève-t-il pas
plutôt d’un décalage dans le discours ? Ce flou rend la distinction entre un message délibéré et
un usage innocent particulièrement difficile et l’accusation de « dog whistling » peut parfois
être perçue comme excessive.
Il ne faudrait en effet pas confondre clins d’œil politiques codés et expressions anodines ni
sombrer dans une lecture paranoïaque des discours politiques où tout ne serait que « dog
whistling » au risque de voir des intentions malveillantes là où il n’y en a pas. D’un autre
côté, la pratique permet justement à l’oratrice et l’orateur de nier toute mauvaise intention et
de jouer sur cette zone d’ombre. Les mots peuvent souvent en dire bien plus qu’il n’y paraît à
première vue.
Le « dog whistling » peut avoir un impact significatif sur le débat politique notamment en
menaçant la transparence des échanges. En dissimulant des idéologies, parfois racistes et
extrémistes, des intentions ou des messages, la pratique empêche une compréhension claire
des positions politiques. Les citoyennes et citoyens, face à ce type de discours ambigus, se
trouvent dans l’incapacité de juger avec précision des propositions et des actions de
responsables politiques. Le « dog whistling » crée une atmosphère de méfiance où la
manipulation subtile des mots et des symboles éclipse les échanges politiques directs, francs
et ouverts.
Le « dog whistling » attise également les divisions sociales en renforçant la polarisation de la
société, en érigeant les communautés les unes contre les autres. Le « dog whistling » renforce
les stéréotypes, alimente la haine, le rejet de l’« autre » tout en empêchant une réflexion
collective. Face à cet outil discursif, il est essentiel de rester vigilant et d’œuvrer à garantir des échanges politiques transparents, inclusifs et responsables afin de préserver le débat
démocratique.
• François Debras, politologue
François Debras est professeur associé à l’ULiège, maître assistant à HELMo et chargé de cours à Sorbonne Nouvelle. Son travail interroge les discours populistes, extrémistes et complotistes selon une approche et des outils issus de l’analyse critique des discours.
Il publie régulièrement des vidéos sur vulgarisation sur la chaîne Youtube PopEx