Les réseaux sociaux : une machine à propagande politique, aux frais des citoyens
Aubry Touriel, journaliste, dans le cadre du Projet “On n’a que l’info qu’on se donne!”
Imaginez : vous êtes sur les réseaux sociaux. Vous scrollez et, tout à coup, vous voyez un labrador à l’air triste qui vous regarde droit dans les yeux. Votre attention est captée, vous fixez l’écran. Vous lisez le message au-dessus de sa tête : “Sanctionnons plus sévèrement la maltraitance animale”. Vous likez : qui peut bien être contre la protection des animaux ? Ensuite, vous continuez à faire défiler les images sur votre écran. Voilà, sans vous en rendre compte, vous venez de liker de la propagande politique.
Cet exemple paraît simpliste, mais il est bien réel. Il s’agit même du message politique qui a été le plus sponsorisé sur Facebook et Instagram : la N-VA a investi plus de 300.000 euros dans cette publicité, selon des chiffres issus du collectif Adlens.
À l’aide d’un message qui semble inoffensif, les partis politiques tentent d’attirer de futurs électeurs potentiels. Leur objectif ? Vous inciter à aimer leurs publications ou leur page grâce à un message qui vous parle pour ensuite vous bombarder de propagande.
Interrogé par la RTBF, Jean Faniel, directeur du Centre de recherche et d’information socio-politiques (CRISP), explique qu’outre le caractère populaire de la protection des animaux, un message peut en cacher un autre : “Auprès de l’électorat d’extrême droite ou de la droite dure, il est aussi lié à l’immigration. De manière presque subliminale, on peut y retrouver un discours anti-islam avec l’idée qu’il faut par exemple interdire l’abattage sans étourdissement.“
Un phénomène surtout flamand
La N-VA n’est évidemment pas le seul parti à investir dans les réseaux sociaux. Ils le font tous, mais à des échelles différentes. Depuis qu’Adlens a commencé en 2019 à collecter les données relatives aux dépenses des partis politiques sur les réseaux sociaux, la tendance demeure la même : c’est un phénomène surtout flamand.
Le Vlaams Belang, N-VA et le PTB (la page néerlandophone : PVDA) constituent le trio de tête qui a le plus dépensé. En 2023, les deux partis nationalistes ont dépensé ensemble près de 3,4 millions d’euros (sur un total de 6 millions). Avec des montants qui ne dépassaient pas les 200.000 euros, les partis francophones n’arrivent pas à la cheville de leurs homologues flamands.
Ces 4 dernières années, les partis nationalistes ont parfois dépensé jusqu’à 360.000 euros par an sur la page Facebook de leur président : Bart De Wever pour la N-VA et Tom Van Grieken pour le Vlaams Belang. Résultat : plus de 300.000 followers pour le premier et 502.000 pour le second.
Pas de limite : vraiment ?
Les partis politiques belges sont les champions d’Europe des publicités sur Facebook même lorsqu’ils ne sont pas en campagne. 2024 est quant à elle une année faste en termes d’élections. Et ça se voit quand on analyse les chiffres d’Adlens : tous les partis belges confondus ont dépensé 7,4 millions sur Facebook, Instagram et YouTube (Google), pendant la seule campagne électorale de juin.
7,4 millions en quatre mois, c’est plus que les 6 millions dépensés pendant l’année 2023. Les partis politiques peuvent-ils donc dépenser sans limites ?
Selon les règles actuelles, il n’existe aucun plafond, hormis lors de la période de prudence (les 4 mois précédant les élections) : ils doivent se limiter à 1 million d’euros pour couvrir la campagne dans son ensemble. Mais, malgré ces plafonds temporaires, ils dépensent de plus en plus en publicités en ligne.
Citoyens ignorés
Vu que le financement de ces mêmes partis provient en très grande majorité (plus de 80% en moyenne) des dotations publiques, cela veut dire que les contribuables financent indirectement leurs messages en ligne.
“Si on ne fait rien, où est-ce que cela va s’arrêter ?”, s’inquiètent les citoyens du panel We Need To Talk, qui ont plaidé pour une réforme du financement des partis. Ils réclament avec insistance de fixer un plafond annuel pour les dépenses des partis sur les réseaux sociaux.
Darlin Kouakam, étudiant bruxellois de 19 ans et membre du panel, expliquait à la RTBF : “Les réseaux sociaux sont un outil de communication incontournable, mais ils ont aussi des effets néfastes pour la démocratie : ils facilitent la diffusion rapide de fausses informations, de messages haineux et la manipulation des opinions. La publicité sur les réseaux utilise les algorithmes pour maximiser leur visibilité en privilégiant des messages simples et provocateurs.”
Malgré la pression des citoyens, rien n’a bougé : les partis du gouvernement précédent n’ont réformé ni le financement des partis ni instauré un plafond sur les publicités en ligne. Juges et partis, ils sont pourtant les seuls à pouvoir modifier ces règles.
Restez alerte (en période électorale et en dehors)
Les élections communales, d’octobre 2024, approchant à grands pas, il est fort probable que vos murs sur les réseaux sociaux soient remplis de contenus sponsorisés. Alors, soyez vigilant avant de liker ou de partager les contenus qui apparaissent sur vos réseaux sociaux.
Sinon, sans prendre garde, un mignon petit labrador pourrait bien se transformer en un lion nationaliste flamingant…
• Aubry Touriel, journaliste
Pour aller plus loin
AdLens est une équipe d’activistes, de journalistes, de chercheurs, d’analystes de données. Ensemble, ils travaillent pour plus de transparence des publicités politiques sur Facebook.